Le Capitaine Nô est le seul à pouvoir traduire B.B. King en français sans perdre une once de verve.
Photo de Richard Fournier
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Capitaine Nô
En spectacle au St-Louis Blues. les 27 et 28 septembre, à 22h.
«Ils sont encore trente», annonça le technicien de son, dont seule la tête dépassait du cadre de porte. Le Capitaine Nô, dans la loge où j'étais allé lui faire un brin de causette, s'exclama en grimaçant: «C'est ça, donne-lui le chiffre pour qu'il l'écrive dans son journal!» Réjean Loiseau, alias Whizzer, son guitariste, souria. «Mais ça fait rien, continua le Cap sur sa lancée, en essayant de rattraper le coup. Ils applaudissent comme 90!» C'était vrai, à cela près qu'au retour de l'entracte, ils étaient 37 et vociféraient comme 120. Triomphe confidentiel, mais triomphe quand même.
Vendredi soir, le St-Louis Blues n'a pas fait recette. La nouvelle boîte de la rue Saint-Dominique, en vérité, connait un premier mois difficile. Un peu à l'écart de l'action, à une cinquantaine de mètres au sud de la rue Prince-Arthur, l'endroit aurait pourtant tout pour s'attirer une clientèle de connaisseurs. Le néon à l'extérieur annonce un bouge infâme, ce qui est tout à fait approprié. La murale, qui s'impose au regard en entrant, est plutôt réussie. Mais une boîte de blues qui fait jouer n'importe quel compact de Daniel Bélanger ou Laurence Jalbert en fond sonore entre les sets rock'n'blues d'un Capitaine Nô ne comprend strictement rien à sa vocation. Des ajustements s'imposent. Rien de complexe: une razzia dans les sections blues des disquaires, avec une liste d'achat préparée par un spécialiste du genre comme le Capitaine. Si l'on jouait là ce qu'on ne peut entendre nulle part ailleurs, les aficionados finiraient par le savoir.
Cela dit, le Capitaine Nô, pas décontenancé pour deux sous par la maigre assistance (il en a vu d'autres dans ses voyages sur les mers du globe, allez!), a livré un show réjouissant et décontracté, plein de bon blues et de gros mots, qui n'avait absolument rien de politically correct. Le Capitaine n'a rien à branler de ce qui se dit ou ne ne dit pas en société. Là-dessus, il fallait entendre Ville de rien, une invraisemblable chanson-feuilleton qui dure vingt minutes et qui raconte les pérégrinations du Cap lui-même et d'un Amérindien, Tonto (qui ne sait dire que «woulou-boulou»...) dans un désert plein de Mexicains et de «nains nègres» (sic). Ce n'est pas une chanson raciste, ni un réquisitoire contre le racisme, mais tout simplement une histoire drôle et une drôle d'histoire. Du vrai «talking blues» à la québécoise. Point à la ligne.
Si le jeu de Loiseau, plutôt fluide et visiblement inspiré de Mark Knopfler (le guitariste de Dire Straits) dans le doigté, m'apparaîssait un peu trop propre et de trop bonne famille, l'efficacité du Capitaine à l'harmonica et à la guitare acoustique, dans la meilleure tradition du Delta blues, ne faisait aucun doute. Au-delà du plaisir toujours renouvelé de réentendre ses grands refrains des années soixante-dix, André, Personne ne m'aime et Baloney (en version augmentée d'une longue tirade sur les dangers inhérents à la conduite d'une Duster 1971 avec une bière entre les jambes...), l'intérêt d'un Capitaine Nô tient à son discours: direct, sans vélléités poétiques, sans grande invention dans les tournures. Véritable Roméo Pérusse de la chanson québécoise, le vieux cachalot à tête d'oeuf est le seul qui puisse traduire un B.B. King sans perdre une once de verve: son adaptation d'Outside Help, un classique du Blues Boy de Memphis, est un miracle de limpidité. Cela donne De l'aide de l'extérieur que j'ai pas d'besoin, et c'est totalement juste. Rien que pour celle-là, il mériterait des salles pleines.
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