Le Capitaine Nô
Photo de Jean Goupil
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Quand j'embarque sur ma sandwich, Baaaloney… pouvait-on capter à la radio des cégeps. A l'époque où il fallait affronter les épaisses vapeurs de substances illicites en franchissant la porte du café étudiant, le Capitaine Nô faisait des vagues dans les enceintes acoustiques.
Ce soir au Café Campus, le vaisseau du Cap pointe à l’horizon. Toujours maitre à bord, notre homme en est à sa deuxième manœuvre depuis peu, son retour sur scène ayant été amorcé l'automne dernier. Pas moins de huit musiciens, une section de vent gonflant les voiles. De toute évidence, on n'a point lésine sur l'équipage.
Ce soir, le Cap compte présenter son nouveau matériel, mais devra évidemment faire plaisir aux nostalgiques en réinterprétant ses classiques. Baloney, Personne ne m'aime, André, Maudite badluck, Ville de rien, du blues rock en français, chanté par un rebelle barbu qui parle fort et carré, sans détour aucun.
Relique des années 70, le capitaine Nô? Jadis, on parlait d’un succès de critique. Public de cégep, puis public de brasserie, de province.
Tête dure devant l'Éternel, le Capitaine a discrètement mené sa barque en voguant hors des circuits •prestigieux. Une fois qu'il eut contemplé le mur se dressant devant lui, le Capitaine n'avait effectivement pu graduer comme Gerry, Rivard, Plume et autres archétypes des années 70.
« J’ai fait pratiquement toutes les places, se rappelle-t-il. J'y ai d'ailleurs acquis une expérience extraordinaire ». Toujours barbu, un peu plus gras que d'antan, le crâne dégarni; Pierre Leith alias le Capitaine Nô est un petit débrouillard. À l'aube de ta quarantaine; ce travailleur farouchement autonome a monté son truc en parallèle.
« La musique, c'est un don, souligne le Capitaine. Quand tu commences, tu ne fais jamais cette carrière pour le fric, tu la fais pour le plaisir de te trouver sur un stage et de donner aux gens. Mais à un moment donné, cela peut devenir une corvée, une job comme n'importe quelle autre. Vers 1985, c'en était trop pour moi. J'avais réalisé une maquette afin, de convaincre une étiquette de disque, mais je n'avais pas trouvé preneur. J’ai alors fermé boutique ». Confie-t-il.
Redevenu Pierre Leith, il fondait une petite boîte de production dans son bungalow de Laprairie. Agent de spectacle, recherchiste, informaticien (il a même conçu un logiciel!);chroniqueur, pigiste tous azimuts, Leith a ainsi appris les rouages de l'industrie culturelle, il a repêché des artistes et en est arrivé à quelques conclusions dont celle-ci :
« Le show-business, c’est comme les Jeux Olympiques : il y aura toujours des gens sur le podium. Des artistes qui ont du talent, j’en rencontre souvent. L'industrie du disque pourra toujours disposer de prospects intéressants et on misera certainement sur les plus malléables. Pas sur des tètes dures comme moi », de philosopher le Capitaine.
Alors pourquoi redevenir le Capitaine Nô ? « Pour le plaisir, sûrement pas pour faire du fric. Je suis en pleine possession de mes moyens, je n'ai jamais été aussi en forme. Et surtout, je ne suis pas amer ». affirme-t-il. Depuis longtemps, il a digéré ses petites défaites. «J’en ai eu de l’amertume », confesse l'artiste. Mais, j'ai rapidement plongé dans d'autres projets, j'ai diversifie mes activités. Maintenant, je: peux remonter sur un stage pour le fun de le faire.
Le Capitaine No se définit toujours comme un bluesman, lorgnant un tant soit peu vers le rock et le R&B. « C'est là-dedans que je suis à l'aise. Je n'ai pu besoin de forcer ». laisse-r-il tomber.
De fait, l'artiste n'est pas issu de notre scène chansonnière ; il a grandi comme les rockeurs de sa génération, il est un produit de la culture nord-américaine, du blues noir et ses dérivés anglo-saxons.
« Dylan et Lennon furent mes premières grosses influences. Des gars qui chantaient du nez », ironise-t-il, en gonflant les narines. A sa liste s’ajoutent Stevie Ray Vaughan, Steve Winwood, Huey Lewis er des bluesmen comme Muddy Waters, Dutch Mason; Powder Blues, Johnny Copeland, etc... Tous des vrais.
De quoi cause le Capitaine? Chroniques de vie, sociologie de taverne, philosophie de table de pool, langue crue ct directe. C'est ça le blues. Même en français. « Le blues, c’est pas donné à tout le monde, il faut naturellement être chialeux, il faut s’avoir se plaindre. Moi je suis un critiqueux, un pineux... Je m’améliore avec l’âge, mais j’ai toujours été connu pour ça. », glisse-t-il, le sourire en coin...
Au fait, y a-t-il un écart entre le personnage Capitaine Nô et Pierre Leith? Les deux répondent par la négative. « Je reste simple sur scène, sauf que c'est un personnage public qui parle. C'est comme si tu interviewais un chauffeur de taxi; sous les spots; on découvrirait ses caractéristiques propres. Moi; c'est pareil; je n'essaie pas de changer lorsque je deviens le Capitaine ». Et c'est parfait ainsi.
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