Capitaine Nô et le Bing Bang Band en spectacle au Café-Campus, dimanche 27 janvier, 20 h 30.
Photo de Jacques Grenier
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VOUS, Pierre Leith, demeurez dans un coquet bungalow de votre Laprairie natal, votre agence de spectacles produit à profusion, vous avez connu sous un nom d'emprunt ronflant une belle carrière musicale entre 1972 et 1985 et vos trois microsillons sont avidement recherchés par les collectionneurs. Vous avez joué dans tous les bars, les cafés et la plupart des belles salles du pays, on vous a louangé dans le Rock'n Folk et la seule mention de votre nom évoque de joyeux moments à toute une cohorte de fidèles admirateurs. Bref, la vie ne vous a pas trop malmené. Vous vous en satisferiez que l'on ne vous en tiendrait pas rigueur.
Pourtant, voilà qu'en septembre dernier, sans crier gare, vous avez pris le Club Soda d'assaut avec de vieilles et de nouvelles chansons, un groupe d'anciens et de nouveaux matelots (dont une époustouflante section de cuivres), et vous avez donné à entendre le meilleur rhythm'n'blues francophone depuis que Charlebois s'était tout écartillé dans Paris. Évidemment, depuis, l'adrénaline coule à flot dans vos artères et, à 41 ans, vous avez décidé de redonner la barre à votre alter ego, ce bon vieux Capitaine Nô.
C'est en effet dimanche, de retour au Café-Campus après huit ans d'absence que s'amorcera la seconde croisière du Capitaine Nô. Au Club Soda, on n'avait tiré qu'un coup de semonce, pour s'assurer que la voilure tiendrait, que le vent soufflait dans la bonne direction. Rencontré chez lui, c'est un Pierre Leith gonflé à bloc qui s'apprête à reprendre le large dans les habits du Capitaine. « J'ai confiance en moi. Quand je deviens le Capitaine Nô, je déplace de l'air. Ça va venter sur scène! »
Capitaine qui? Pour les moins de trente ans, la question s'impose. Capitaine Hadock. Bonhomme, America, on connaît, mais le Capitaine Nô ? Dans les années 70, quelque part entre Plume et Offenbach, l'homme jouait du rock, du blues et du rhythm 'n 'blues en québécois, colportant ses succès (André, Baloney, Personne ne m 'aime et Ville de rien) avec énergie sur toutes les scènes, jusqu'à ce que la disette postréférendaire entame son enthousiasme et qu'en 1985, éreinté par le techno pop, le Capitaine jette l'ancre. «J'étais un peu amer, je manquais de reconnaissance. Je gagnais ma vie, mais coucher tout seul dans un motel en Abitibi devenait lourd».
Mais encore, le Capitaine Nô? Un gars sans la plus infime parcelle de prétention, doté d'un humour décapant, direct comme un bluesman, vif comme un rocker, d'un naturel déconcertant sur scène. Un touche-à-tout qui concevait ses pochettes de disques, organisait ses tournées et planifiait sa carrière en se souciant comme d'une guigne des diktats de l'industrie. Comme son nom l'indique, le Capitaine Nô a toujours été seul maître à bord après Dieu.
« Je suis pas mal polyvalent, commente-t-il. Je n'ai jamais eu de gérant et je négociais moi-même les contrats avec RCA.».
Mais si le Capitaine reprend du service, Pierre Leith a ménagé ses arrières. Si rien ne se déclenche vraiment, si les nouveaux démos ne mènent pas à l'album souhaité, les productions CAP et les centaines d'artistes en tous genres dont il guide la destinée « qui sont tous moins fous que moi », précise-t-il, lui permettent d'entrevoir l'avenir avec certitude. Il faut le voir devant son écran cathodique, m'expliquant avec une fierté justifiée l'impressionnant système informatisé qu'il a adapté à son métier d'imprésario : « C'est un programme unique qui résume les activités d'une agence de spectacles. Le logiciel est évalué à 14000 $. »
Lorsqu'il cause boutique, des mots reviennent comme un leitmotiv dans le discours de Leith : stabilité, sécurité, responsabilité. Mais le plaisir dans tout ça? « Quand j'ai quitté la scène en 1985, avoue-t-il, j'avais développé un « tennis elbow » à force de jouer de la guitare, aujourd'hui, après cinq ans à négocier des contrats au téléphone, je commence à avoir l'oreille infectée... »
De fait, qu'on lui parle de sa musique et une lueur perce le regard de Pierre Leith, une certaine frénésie épice le ton, laissant supposer que le retour du Capitaine Nô dans sa vie rétablira l'équilibre travail plaisir. D'autant plus que Leith n'a rien du dilettante. La création en circuit fermé, les bœufs de sous-sol entre vieux combattants, très peu pour lui il ne chantera que pour être entendu, ne multipliera les prestations qu'en fonction de la demande.
Le Capitaine Nô
« L'art est intimement lié à la consommation. C'est pour les autres qu'on joue. Quand la maison d'un peintre est pleine de peintures, il faut en vendre pour faire de la place. Si le public et l'industrie m'acceptent, le Capitaine Nô va suivre. »
Mais quoi qu'il fasse, il aura toujours le blues et le rock dans la peau. C'était vrai en 1965, alors qu'il gratouillait The House Of The Rising Sun, s'acharnait à apprendre les interminables textes de Bob Dylan, et s'initiait à Muddy Waters, Bo Diddley et Chuck Berry via les versions des Rolling Stones et des AnimaIs. Ce sera vrai dimanche.
De l'aide de l'extérieur, sa version québécoise d'Outside Help, le classique de B.B. King, en témoignera. Il faudra s'attendre, comme il l'affirme sans ironie, à un happening. Je lance l'étincelle, à vous de fournir le carburant.
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