Photo de Steve Leroux
La une
Le Capitaine Nô est une véritable légende québécoise du blues. À 50 ans, le musicien au verbe caustique et à la guitare alerte soliloque sur les grands principes de notre vie stressante de fin de siècle.
L'homme a une façon terre à terre de chant
Accès Laurentides, Le Capitaine Nô: Troubadour du blues.
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Le Capitaine Nô est certes l'éminence grise du R&B québécois. L'homme à la guitare rapide et au verbe acerbe, voire caustique, a littéralement connu toutes les scènes québécoises et vécu une carrière en dents de scie. Le beat blues amène ces jours-ci (les 11 et 12 juin) cette légende vivante de la musique québécoise au bar Bulldozer, de Saint-Sauveur, pour un spectacle solo. A 50 ans, il est plus jeune que Mick Jagger. « Je suis également plus beau! » lance-t-il railleur, sur le ton simple qu'on lui connaît.
Avec cinq albums à son actif, quelques tubes bien sentis comme les vieux « Baloneys », « Personne ne m'aime » et « André, laisse-toi pas niaiser », le remake de « Ma Tante Rita » et des tubes plus récents, comme, « Cocoman », le Cap a laissé une marque tout à fait spéciale dans le showbiz québécois.
Quiconque connaît le Capitaine Nô (alias Pierre Leith) apprécie sa poésie simple et directe. Ses textes sont littéralement drôles, avec des rimes impossibles et un langage cru, original, à la limite du joual. Il fait sonner les mots de tous les jours comme s'il s'agissait d'une langue millénaire. Il fait swinguer les mots aussi bien que les rockers anglophones. De plus, le Cap brasse quelques certitudes et s'emploie à démolir les acquis de la rectitude politique avec un sans-gêne qui ferait passer Lara Fabian pour une sœur.
Avec 27 années de carrière artistique professionnelle, le Cap a remercié son band, formé d'une section de cuivres et une rythmique batterie, basse, pour se concentrer sur un concept de spectacles solo très énergique. L'homme fait hurler de rire mais aussi provoque une émotion surprenante au sein d'un public qui en redemande. Devenu troubadour blues man, seul avec sa guitare et son harmonica, il ne s'enfarge certes pas dans les fleurs du tapis. Réjouissons-nous, l'homme prépare un nouvel album. « J'attends ma bourse du gouvernement ! » laisse échapper le musicien avec son humour habituel.
Je lui ai demandé s'il était possible de vivre adéquatement comme musicien solo, sans une grosse organisation derrière lui, « Je fais mon petit bonhomme de chemin et je paie mes taxes et mes factures, si c'est ça que tu veux dire. Bien sûr, je ne vis pas riche, mais j'ai pas besoin de quêter. Si j'avais une grosse organisation avec moi, je traînerais peut-être ma guitare un peu partout sur cette planète. Mais il n'y aurait rien de changé sur le plan artistique. »
Y a-t-il de la place pour des « vieux » artistes dans la pop québécoise? « C'est certain que les jeunes qui commencent ont plus de chance de se voir offrir un contrat par une organisation bien rodée. Habituellement, les offres arrivent dans la vingtaine. Pour un gars comme moi, les propositions se font rares. Mais, règle générale, les vieux sont très présents dans le showbiz québécois. Les Paul Piché, Michel Rivard, Nanette Workman et autres ne sont plus tout à fait des jeunesses. »
On l'a dit, les propos du Capitaine Nô sont souvent acerbes, caustiques, baveux à la limite. « J'aime la critique sociale, le mordant. C'est dans ma nature. Je veux donner mon opinion, mais je fais très attention quand je la donne, car elle devient plus durable. Écouter mes chansons du début, composées il y a presque 30 ans. Elles sont encore d'actualité. Si ce n'était pas le cas, je ne les chanterais pas encore aujourd'hui. Tiens une toune comme « Sauvez la terre », que j'ai enregistrée en 91. Elle s'inscrit parfaitement dans le courant actuel, avec le Kosovo et Julie Payette dans la navette spatiale. J'ajouterais que de tels propos nous permettent de mesurer le chemin parcouru par l'humanité en 30 ans : il est pas fort! On dirait que le monde ne se place pas trop vite. « Le monde est-il fucké à ce point aux yeux du Cap ? » Écoute ben, le monde a besoin de choses très « basic ». La nature, l'amour, la bonne bouffe, les choses simples. Dans le fin fond, il recherche le moins de technologie possible pour assurer son bonheur. Aujourd'hui, les gens courent à droite et à gauche pour faire de l'argent. Ils ne profitent pas de la vie. »
« Regarde l'homme moderne. Il est équipé de l'Internet et du téléphone cellulaire. Le gars peut communiquer à l'autre bout de la planète, mais il ne parle même pas à son voisin ! Le Web, les boîtes vocales, les gens se perdent dans ces choses-là. »
« Beaucoup de gens sont angoissés. C'est un mal du siècle. Ils ne sont pas capables de s'asseoir dans une chaise, d'arrêter quelques heures juste pour réfléchir. Il faut toujours qu'ils courent après leur queue. Tiens, avec ma guitare, mon harmonica, le fait que je puisse faire de la musique à volonté, de faire tripper du monde sans avoir douze musiciens, trois choristes, quatre rangées de synthés, me semble que c'est une bonne valeur. Je présente aux gens un show sans artifice, près de vraies affaires. »
Le Capitaine Nô est-il d'accord avec ces gens qui dénoncent le courant néolibéral actuel, qui affirment que l'écart entre les riches et les pauvres s'agrandit chaque jour « La course au bonheur, c'est encore une réalité. Il y a encore des gens qui pilent sur les autres pour monter dans l'échelle sociale. Oui, je crois qu'on revient au capitalisme sauvage. C'est même pire qu'avant, parce que c'est mondial et que même le citoyen ordinaire se sent dépourvu de sens moral. Le gros problème en cette fin de siècle, c'est le manque de responsabilités. Tout le monde se fout des conséquences de ses actes, on veut juste profiter du moment présent. C'est pas grave la pollution, c'est pas grave si on fait moins d'enfants (on dirait que seuls les pauvres ont encore de grosses familles), c'est pas grave le matérialisme même si le nombre de pauvres augmente.» Pierre Leith a souvent des constats déconcertants. Sur l'égoïsme de nos contemporains, entre autres. Regarde les gens seuls. Ils sont de plus en plus nombreux. Ils sont tellement tournés vers leur petite personne qu'ils ont de la misère à se matcher. C'est pas surprenant qu'on ait des agences de rencontre superpopulaires, des sites-rencontre sur Internet, des boîtes comme Télé-Match. C'est pas normal que sur une population de plusieurs millions, un gars ne peut pas trouver une fille à son goût. Pourtant, l'âme sœur n'est jamais loin. Il s'agit simplement de pouvoir t'ajuster aux autres. Ma blonde, je l'ai connue à 14 ans. Ça fait 36 ans que nous sommes ensemble. Je vis depuis 48 ans à La Prairie. N'y a-t-il pas quelque chose de sain dans cette continuité? Cette stabilité m'aide à comprendre un tas d'affaires. On dirait qu'aujourd'hui, les gens se cherchent mais ils ne fouillent pas à la bonne place. Pas besoin d'aller trop loin pour trouver. Tu sais, on se pitche à gauche et à droite en faisant accroire aux amis et à soi-même qu'on brasse ben des affaires. Dans le fond, on fait pas grand-chose. Dans le fond, la connaissance des 2000 dernières années de notre civilisation, y'a pas grand monde qui peut en faire la somme autour de nous. On ne refera pas le monde. Ça prend pourtant pas grand-chose pour être simple avec soi-même. »
J'ai demandé à Pierre Leith s'il était, foncièrement, un gars positif dans la vie. « Mettons que ça ne s'améliore pas à court terme. Je crois que les gens devraient être moins exigeants envers la vie. Ils devraient se tourner vers des choses simples. Il faut apprendre à être plus heureux avec pas grande chose. Le tourbillon matériel et technologique, ça n'apporte pas le bonheur. Avec les années, j'ai appris à développer la sagesse, à désirer les choses que je voulais me procurer. C'est une toute autre mentalité. Plus jeune, j'étais sur le gros nerf. Aujourd'hui, je suis plus calme, plus serein. Écoute ben, pour faire un show solo, il faut être bien dans sa peau. Même si je suis plus calme, crains pas, je suis encore une méchante bombe musicalement parlant! Mettons qu'avec les années, je n'ai pas perdu d'énergie. J'ai simplement appris à la canaliser pour la musique, le spectacle. J'en sors gagnant et je me sens intègre, disponible. »
Discographie : Capitaine No (1975) Avec « André », « Personne ne m'aime », « Baloney »; Difficile (1976) Avec « La Gaspésie », « Le Blues du Caps Capitaine Nô;Capitaine Nô et son big band (1981) Avec « Ville de rien »; Cocoman (1992) Avec « Cocoman », « Sauvez la terre », « Dans I’bas de la ville », « Tout un vendredi », « Ma tante Rita »; Vidéoclip en 1992 « Sauvez la terre »
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